ROUSSEAU St�phane
U.E. F4 612 - Probl�matique de l'enseignement/apprentissage d'une langue �trang�re
M�moire dirig� par R�my PORQUIER
Université Paris X Nanterre - 1997/1998

 

1. Situation des cours particuliers dans le processus d'enseignement/apprentissage d'une langue étrangère

 

1.1. Élaboration d'une définition d'un cours particulier

1.1.1. Cours particuliers et autoformation

"L'enseignement collectif est prisonnier des contraintes de lieu, de temps et de personnes. Ce type de dispositif de formation est exclusif de l'enseignement initial et a dominé longtemps la formation linguistique des adultes. La nécessité de s'adapter aux attentes des adultes, de trouver des solutions tenant compte de l'évolution du monde moderne, implique des orientations nouvelles. Pour faire éclater le carcan du dispositif collectif traditionnel, il semble donc nécessaire d'introduire de la flexibilité, de la souplesse, du différentiel."

Ces propos de Springer (La didactique des langues face aux défis de la formation des adultes, 1996) avaient pour but d'introduire le concept d'autoformation, mais pourraient tout aussi bien, de par l'attaque qu'ils semblent porter à l'enseignement collectif, s'appliquer aux cours particuliers.

Ce rapprochement avec l'autoformation peut nous aider à définir ce qu'est un cours particulier. Un premier élément de définition semble être l'individualisation de l'enseignement : un cours est réalisé pour une personne donnée, en fonction de ses objectifs et de ses besoins propres. Un deuxième élément peut être constitué par l'enseignant. Par cours particulier, il semble logique d'entendre un cours donné en temps réel par un enseignant, ce qui exclurait non seulement les situations d'autoformation, mais également les situations d'enseignement par correspondance, par exemple, d'autant plus que dans ce dernier cas, il est rare que le cours ait été spécialement conçu en fonction de l'apprenant.

Il serait cependant malvenu d'exclure d'emblée ces deux exemples de situations. Considérons les situations d'autoformation : si l'autoformation "pure" suppose l'absence d'enseignant, la réalité est heureusement plus nuancée. Tout d'abord, comme le rappelle Springer, "ce n'est pas la mise en autonomie qui est recherchée comme une fin en soi, elle n'est qu'un moyen permettant à l'apprenant de se centrer sur son processus d'apprentissage. La raison d'être d'un tel dispositif, sa plus value par rapport à l'autodidaxie ou au cours collectif, repose sur une capacité d'ajustement et de personnalisation permanente de la formation grâce à une médiation pédagogique négociée et souhaitée." Springer ne manque donc pas d'insister sur le rôle de l'enseignant, qui devient un "tuteur-conseiller-concepteur", qui aide l'apprenant à apprendre à apprendre, et dont le rôle au sein du processus d'autoformation peut être primordial, aussi bien en amont, à travers le choix des différents supports pédagogiques ou la négociation d'un curriculum avec l'apprenant, qu'en aval, par exemple à travers des entretiens individuels, des bilans d'évaluation, etc.

 

1.1.2. Cours particuliers et individualisation de l'enseignement

Considérons maintenant le critère de l'individualisation de l'enseignement, qui semble être exclus des situations d'enseignement par correspondance. Ce critère doit être manié avec prudence : un enseignement particulier peut ne pas différer beaucoup d'un apprenant à un autre, l'important n'est-il pas de considérer que le même cours ne pourra jamais être effectué de manière absolument identique d'un apprenant à l'autre ? Par "individualisation", on peut donc retenir prioritairement un aspect quasi temporel, c'est-à-dire le fait qu'un cours soit exécuté, réalisé dans le temps, pour un apprenant unique. Bien entendu, le caractère unique d'un cours (en prenant, cette fois, le terme "cours" au sens du contenu, et non pas de la réalisation) est un critère à ne pas négliger, car il permet de juger du degré d'individualisation du contenu d'un enseignement.

 

1.1.3. Critères de définition

De l'étude de ces exemples, il ressort que l'individualisation du contenu d'un cours peut ne pas être un critère nécessaire à la définition d'un cours particulier. Elle peut paraître souhaitable ou indispensable, mais l'un des problèmes auquel se heurte un enseignant particulier peut aussi être de savoir jusqu'à quel point il est judicieux et pertinent d'individualiser son cours. L'individualisation du rythme d'apprentissage n'est pas davantage un critère nécessaire : un apprenant qui suit des cours par correspondance auprès d'une institution ne suit pas des cours particuliers, au sens où on peut communément l'entendre. Le critère de la présence d'un enseignant se heurte, pour sa part, aux situations d'autoformation guidée, qui représentent une individualisation de l'apprentissage et parfois de l'enseignement. Le critère du temps réel, que nous avons mentionné plus haut, peut aussi être facilement remis en cause. On peut tout à fait imaginer une situation de cours particulier "en différé", que l'on pourrait alors rapprocher d'un processus d'autoformation guidée.

Certains de ces critères vont cependant faire l'objet de notre choix pour la construction d'une définition :

- Le critère du temps réel, parce que les situations "en différé" nous semblent recouvrir une réalité peu répandue, ou bien alors des situations qu'il serait plus pertinent de qualifier d'autoformation guidée.

- Le critère de l'enseignant, qui nous semble contenu dans le terme "cours", terme que l'on peut d'ailleurs opposer, d'une certaine manière, à l'autoformation (on ne prend pas des "cours d'autoformation"). Précisons que par "enseignant", il convient de considérer ici une personne qui transmet les connaissances qu'elle a d'une langue étrangère (puisque c'est le cas qui nous intéresse), et non pas nécessairement une personne dont c'est le métier d'enseigner.

- Le critère de l'apprenant unique, enfin, critère qui nous semble contenu dans le mot "particulier", qui marque une opposition par rapport à "collectif", terme qui lui-même peut être appliqué à un groupe (sic) de deux apprenants.

 

1.1.4. Définition

La définition que nous allons donner d'un cours particulier n'aura pas la prétention de vouloir cerner une réalité parfois très fluctuante, mais aura pour but d'aider à délimiter le cadre de cette étude. Nous considérerons donc un cours particulier comme un enseignement réalisé pour un apprenant unique, en temps réel et par une personne que nous appellerons enseignant, tout en gardant à l'esprit que certains de ces éléments de définition peuvent être remis en question à travers diverses situations, et que nous serons peut-être nous-même amené à les remettre de nouveau en cause.

 

1.2. Les différentes formes de cours particuliers

1.2.1. Les cours informels

Au cours de l'élaboration de notre définition, nous avons déjà pu avoir un aperçu à la fois des diverses réalités que les cours particuliers pouvaient recouvrir, et également de leur importance, tout simplement de leur existence, au sein du processus d'enseignement/apprentissage d'une langue étrangère.

Reconnaître l'existence des cours particuliers n'a rien d'anodin. Si une partie des cours ont lieu dans des institutions, une autre partie (il serait bien difficile de mesurer laquelle, probablement une partie importante) ont lieu de manière informelle. Il faut bien mesurer ce que le terme "informel" recouvre. Nous faisons ici référence au système des cours particuliers à domicile, donnés par exemple par des étudiants ou par des enseignants désirant disposer d'un revenu supplémentaire, le contact s'effectuant par relations ou par petites annonces. Ce système, que tout le monde connaît et qui est toléré au même titre que le baby-sitting, par exemple, offre sans aucun doute de nombreux avantages, mais présente l'inconvénient d'être extrêmement difficile à appréhender du point de vue de l'étude.

Encore une fois, il convient d'être prudent : il existe des entreprises spécialisées dans la mise en relation avec un enseignant particulier (de même qu'il existe des agences de baby-sitting), qui, elles, sélectionnent les enseignants. Il n'y a donc pas uniquement des cours institutionnels en école de langue d'une part, et des cours informels à domicile d'autre part.

Cependant, la distinction reste assez marquée pour que l'on puisse s'y tenir, et c'est cette dichotomie fondamentale qui sous-tendra notre démarche tout au long de cette étude. Le fait que les cours informels représentent un domaine peu étudié justifiera également que cette étude mette davantage l'accent sur ce type de cours.

Parmi les différentes situations possibles, on peut distinguer selon que l'enseignant est un enseignant professionnel ou non. De nombreux enseignants donnent des cours particuliers, essentiellement pour obtenir un revenu supplémentaire, et parce qu'ils en ont le temps. Il arrive même que ces enseignants aient pour élève particulier un élève qu'ils suivent également au sein d'un groupe, le plus souvent une classe. Mais les cours particuliers ne sont pas réservés aux enseignants professionnels : il arrive bien souvent que des étudiants offrent leurs services pour aider des collégiens ou des lycéens, par exemple. Le problème qui se pose alors est celui de la qualification. Une vision pessimiste des choses peut conduire à constater que n'importe qui peut s'improviser enseignant particulier, que les cours ne sont soumis à aucun contrôle, que les parents ne sont pas en mesure de juger du degré de compétence de "l'enseignant", qui lui-même ne serait motivé que par l'argent. Mais rien n'empêche d'adopter une attitude plus optimiste : l'apprenti-enseignant n'est peut-être pas toujours très compétent, mais si l'on considère le cas classique d'un étudiant donnant des cours à un lycéen, on peut considérer que l'étudiant sera plus proche de son élève, ne serait-ce que par l'âge, que ne le serait un enseignant professionnel. Le système du tutorat, développé dans les écoles et les universités, s'inspire de ce rapport. Le courant peut ainsi mieux passer, et la vision même que l'apprenant a de la langue étrangère peut être rendue plus positive. En outre, s'il est vrai que les parents d'un lycéen ne sont pas forcément qualifiés pour juger de la compétence d'un enseignant de langue étrangère, ils sont en revanche parfaitement capables de mesurer les progrès de leur enfant, et de mesurer ainsi la rentabilité de leur investissement.

Si l'on se place, enfin, du côté de l'étudiant, outre le fait qu'enseigner une langue étrangère permet souvent de se perfectionner soi-même, on peut également apprécier le fait que donner des cours particuliers constitue une riche expérience, qu'il ne serait pas possible d'acquérir autrement. Certains deviendront plus tard eux-mêmes enseignants, certains sont même essentiellement motivés par le fait d'acquérir cette expérience, et pas seulement par l'argent. S'il est vrai que les cours particuliers représentent une source importante de revenus, on peut penser que l'investissement qu'il est nécessaire de fournir finit par décourager ceux qui n'ont pas une motivation autre.

On peut également distinguer un certain nombre de situations dans lesquelles l'enseignant particulier n'est ni un enseignant professionnel, ni un étudiant. Il peut s'agir tout simplement d'un ami, ou encore d'un étranger, de passage ou non dans le pays et enseignant une langue étrangère qu'il maîtrise, généralement sa langue maternelle. Nous reviendrons sur d'autres cas d'étrangers enseignant leur langue, des jeunes gens au pair, par exemple, situations que nous classerons sous l'intitulé "formes tutorales".

 

1.2.2. Les cours institutionnels

Les cours institutionnels, c'est-à-dire ceux qui ont lieu dans le cadre d'une école de langue ou d'un institut similaire, sont également très développés, et font partie intégrante de l'offre commerciale de ces institutions. La centration sur l'apprenant-client est un concept vendeur, on peut d'ailleurs remarquer que tout le discours publicitaire des prestataires de services, d'une manière générale, joue sur ce tableau : les assureurs nous garantissent un interlocuteur unique, les banquiers nous promettent des prêts accordés à nos besoins, tous nous font comprendre que chacun de nous est unique, que nous avons des besoins propres et qu'il existe une solution adaptée à chaque cas. En termes économiques, on dirait que le marché est segmenté. Le discours économique, d'une manière générale, est le suivant : les marchés sont saturés, les ménages sont équipés, c'est le désir du consommateur qui le pousse à acheter, et non plus le besoin, et les gains des entreprises ne peuvent se faire désormais que sur la capacité qu'elles ont à s'adapter aux variations du marché, d'où l'importance d'un outil de production flexible.

L'offre en matière de cours de langues n'échappe pas à cette logique. Si l'on ajoute à cela un courant méthodologique prônant la centration sur l'apprenant, on comprend que les cours particuliers, manifestation de ce concept poussé à l'extrême, fassent partie de l'offre des écoles de langues.

L'une des différences entre cours informels et cours institutionnels réside dans les tarifs, généralement plus élevés dans une institution. Un certain nombre de contraintes semblent également caractériser les cours particuliers institutionnels. Mais si les horaires, par exemple, semblent plus rigides, les plages horaires proposées par les écoles de langues sont en fait souvent très larges, probablement plus larges que celles d'un enseignant particulier donnant des cours sur son temps libre. Le lieu apparaît également comme une contrainte, si l'on pense que les cours informels ont lieu à domicile et qu'il faut se déplacer pour suivre un cours dans une institution. En fait, il arrive que les écoles de langues proposent que l'enseignant se déplace (et le cours peut par exemple avoir lieu sur le lieu de travail de l'apprenant), et il arrive également qu'il faille se déplacer pour suivre un cours informel.

Dire que la différence réside uniquement dans le tarif serait cependant réducteur. En fait, dire qu'elle réside principalement dans le type de public serait plus juste. Il faudrait vérifier statistiquement cet élément, mais une rapide enquête nous a permis de penser que l'offre des écoles de langues en matière de cours particuliers était une offre essentiellement tournée vers les entreprises, ce qui expliquerait des tarifs plus élevés.

La question qui se pose maintenant est de savoir ce qui motive un apprenant à choisir la formule des cours particuliers institutionnels. Il y a, bien entendu, la certitude d'avoir affaire à un enseignant professionnel et qualifié, mais on peut obtenir la même certitude par le biais des cours informels, il suffit de parcourir les petites annonces pour se rendre compte que de nombreux enseignants qualifiés proposent leurs services. Revenons sur le critère des tarifs. Outre leur niveau, la différence majeure est tout simplement que les cours informels relèvent du travail au noir, et qu'il serait inacceptable pour une entreprise, notamment, de former ses salariés par ce biais. Mais pourquoi alors des cours particuliers ? Pourquoi ne pas vouloir bénéficier de la dynamique d'un groupe ? Les apprenants ont-ils le sentiment que le rythme d'un groupe serait trop aléatoire, ou qu'on leur accorderait moins d'attention ?

Un premier élément de réponse serait plutôt à chercher du côté de la flexibilité. Un cours particulier permet, et c'est encore une fois à l'avantage des entreprises, une opération de formation ponctuelle. Nous reviendrons sur ce point dans la partie que nous consacrerons à la situation des entreprises.

Un deuxième élément de réponse relève davantage de ce qui nous préoccupe à ce point de notre étude, à savoir la diversité des situations qui existent. Alors qu'un cours particulier se demande, et reflète une démarche personnelle de l'apprenant (ou éventuellement de ses parents !), un cours particulier institutionnel peut, en quelque sorte, se voir imposé, soit qu'il relève d'une formation à objectif professionnel et financée par une entreprise, soit qu'il fasse partie d'une formule globale de type séjour linguistique à l'étranger.

On peut enfin évoquer les situations dans lesquelles le choix avec les cours particuliers informels ou avec les cours collectifs ne se présente pas, cela peut être le cas des langues rares, ou le cas dans des endroits où le marché des cours informels est moins développé qu'ailleurs.

 

1.2.3. Les formes tutorales

Sous l'intitulé "formes tutorales", nous classons toutes les situations qui s'apparentent à un cours particulier de langue étrangère, c'est-à-dire un enseignement réalisé pour un apprenant unique, en temps réel et par une personne assimilée à un enseignant, mais qui diffèrent soit parce que l'enseignement n'est pas uniquement axé sur une langue étrangère, soit parce qu'il ne s'agit pas d'un enseignement à proprement parler.

Le premier cas auquel nous pouvons faire référence est celui auquel nous avons déjà fait allusion au cours de l'élaboration de notre définition des cours particuliers, à savoir les entretiens individuels au cours d'un processus d'autoformation. Ici, nous ne sommes pas en présence d'un enseignement, mais plutôt d'une réflexion commune autour d'une situation d'apprentissage.

Dans le même ordre d'idées, on peut également évoquer le système du tutorat ou du parrainage, instauré dans certaines universités ou grandes écoles, qui consiste le plus souvent à mettre en relation un étudiant de troisième ou quatrième année avec un étudiant de première année. Dans le cas des cursus de langues étrangères, ces situations peuvent alors être très proches de celle d'un cours particulier.

Le cas des jeunes gens au pair est également intéressant. Être ou travailler au pair signifie être logé et nourri sans appointements en échange de certains services. Le cas le plus fréquent est celui d'une jeune personne, logée dans un pays étranger au sein d'une famille, et qui a la charge de s'occuper des enfants ou d'effectuer des tâches ménagères. Sans constituer non plus un enseignement à proprement parler, l'aspect linguistique est généralement privilégié dans l'esprit des parents, qui souhaitent ainsi faire profiter leurs enfants de la présence d'une personne de langue maternelle étrangère à la maison. Les arrangements sont variables, la personne au pair peut s'exprimer dans sa langue avec les enfants, ou encore réserver des plages horaires pour leur donner des cours.

Parmi les situations qui, cette fois, relèvent bien d'un enseignement, il convient de distinguer les cours particuliers n'étant pas uniquement axés sur l'enseignement d'une langue étrangère. C'est le cas des cours de soutien scolaire, qui couvrent généralement toutes les matières scolaires, y compris les langues étrangères, en fonction des compétences de l'enseignant (qui elles-mêmes dépendront des critères selon lesquels il aura été choisi).

Cette dernière situation, et dans une moindre mesure l'ensemble des situations de cours particuliers à domicile, n'est pas sans rappeler en la personne de l'enseignant le personnage du précepteur, sur lequel il mérite de s'arrêter quelque peu.

Le précepteur est en effet une figure classique de la littérature, et a même été érigé par Montaigne, dans ses Essais (1580), comme un idéal d'éducation. Montaigne condamne l'éducation collective des collèges, et fait du précepteur un véritable maître à penser, dont le rôle n'est pas tant de transmettre des connaissances que de former le jugement de son élève :

"À un enfant de maison qui recherche les lettres, non pour le gain (car une fin si abjecte est indigne de la grâce et faveur des Muses, et puis elle regarde et dépend d'autrui), ni tant pour les commodités externes que pour les siennes propres, et pour s'en enrichir et parer au dedans, ayant plutôt envie d'en tirer un habile homme qu'un homme savant, je voudrais aussi qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu'on y requît tous les deux, mais plus les moeurs et l'entendement que la science ; et qu'il se conduisît en sa charge d'une nouvelle manière."

Le précepteur est un personnage non dépourvu d'un certain prestige, qui a en charge l'éducation de jeunes gens de bonne famille (par "enfant de maison", Montaigne signifie de grande maison, noble). Pour ne citer qu'un autre exemple, dans le roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre (1847), l'héroïne voit sa vie et son statut social se transformer lorsque, de simple institutrice, elle est recrutée comme préceptrice pour s'occuper de la jeune Adèle.

Le rapport avec le sujet qui nous préoccupe, les cours particuliers, peut paraître lointain, mais de l'image du précepteur il reste l'idée que bénéficier d'un enseignant particulier est une forme de luxe, réservé à ceux qui ont les moyens ou veulent se donner les moyens de parfaire l'éducation de leurs enfants. L'idée, voire le mythe, que les cours particuliers représenteraient la voie royale vers le succès n'est pas loin.

 

1.2.4. Les échanges linguistiques

Les échanges linguistiques sont une forme à part de cours particuliers. Le principe est d'échanger les connaissances que l'on a d'une langue (généralement sa langue maternelle) contre les connaissances que possède quelqu'un d'autre d'une autre langue. Il n'y a donc pas un enseignant d'une part et un apprenant de l'autre, mais un enseignant et un apprenant en chacun des deux participants.

Concrètement, le problème qui se pose est le suivant : pour bénéficier d'un apprentissage, il faut s'exprimer dans la langue cible, mais pour apporter quelque chose à son interlocuteur, il faut également s'exprimer dans sa propre langue. D'où un problème de répartition : va-t-on consacrer une séance à une langue, va-t-on alterner la langue, si oui en fonction de quoi ?

En outre, il faut que les objectifs des deux interlocuteurs soient très proches, sinon similaires. Il serait difficile de concevoir une situation dans laquelle une personne A recherchant à améliorer son niveau d'oral échangerait des cours avec une personne B recherchant une remise à niveau en grammaire, en vue de préparer un examen écrit. Un tel échange se limiterait alors à un échange de services, et non à un réel échange linguistique. Pour que la distinction soit claire, nous allons nous appuyer sur deux exemples : les S.E.L., (Systèmes d'Échanges Locaux), et le réseau international Tandem, une forme institutionnalisée d'échanges linguistiques.

Les S.E.L., qui comptent plus de trente mille adhérents en France, sont des organisations d'échanges, de troc, que l'on peut rapprocher des réseaux d'échanges de savoirs, à la différence près que chaque S.E.L. possède sa propre monnaie, et que le troc n'est donc pas bilatéral. Nous sommes donc dans le domaine de l'échange de services, on peut tout à fait donner des cours particuliers d'espagnol à une personne, et recevoir des cours de russe d'une autre. Le réseau Tandem, lui, organise de "réels" échanges linguistiques, c'est-à-dire que les participants apprennent à deux :

"Apprendre en tandem peut se définir comme une forme d'apprentissage ouverte, où des personnes de langue maternelle différente travaillent ensemble en paire :
· pour apprendre plus sur la personne et la culture du partenaire
· pour s'entraider dans l'amélioration de leurs connaissances linguistiques
· pour échanger d'autres connaissances, par exemple du domaine de leur activité professionnelle."

Le lecteur trouvera au début des annexes quelques informations concernant les S.E.L. et le réseau Tandem, informations recueillies par le biais d'Internet.

Revenons à présent au problème de la répartition d'un "réel" échange linguistique. En combinant les différentes possibilités, on peut envisager les cas suivants :

· Une séance ou une partie d'une séance est consacrée à une langue. Le locuteur A s'exprime dans sa propre langue, il est en position d'enseignant, le locuteur B est apprenant. La situation de communication est de type exolingue / unilingue, c'est-à-dire qu'une seule langue est utilisée, mais il ne s'agit pas (et pour cause) d'une langue maternelle commune aux deux locuteurs.

· Chacun des deux locuteurs s'exprime dans sa propre langue, l'accent est alors mis sur la compréhension, avec une situation de communication de type endolingue / bilingue, chaque locuteur s'exprimant dans la langue qu'il maîtrise.

· Chacun des deux locuteurs s'exprime dans la langue de l'autre, l'accent est alors mis sur la production orale, et la communication est de type exolingue / bilingue, deux langues cibles étant utilisées.

La réalité, comme souvent, est mixte. Il arrive, par exemple, que les participants ne décident d'aucune répartition précise, et qu'ils laissent l'équilibre se faire de lui-même. Les situations évoquées ci-dessus se rencontrent de toute façon, mais à tour de rôle, ou de façon aléatoire.

 

1.2.5. Tableau récapitulatif

Nous proposons ici un tableau, probablement non exhaustif, récapitulant les différentes formes de cours particuliers que nous avons passées en revue. On voit que les critères de classement varient selon le cadre dans lequel on se situe : alors que le critère de l'enseignant est à la base d'une distinction majeure au sein du cadre informel, c'est plutôt le type de formule qui commande les distinctions du cadre institutionnel. Cette dernière classification n'est d'ailleurs pas étanche : on peut imaginer le cas d'un apprenant finançant lui-même des cours qu'il estime entrer dans le cadre de sa formation professionnelle, et ce lors d'un séjour linguistique à l'étranger.

Précisons enfin que nous avons fait le choix de faire figurer les échanges linguistiques au sein du cadre informel, parce qu'il nous a semblé, peut-être à tort, que les formes institutionnelles d'échanges linguistiques, du moins celles dont nous avons pu avoir connaissance, étaient restées au stade d'expériences inter-universitaires, certes louables, mais peu développées.

- Tableau récapitulatif des différentes formes de cours particuliers étudiées -


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