Bernard Vivier, auteur du dictionnaire Freelang espéranto-français, responsable de la version espéranto du dictionnaire et traducteur pour l’espéranto sur Freelang, est le premier à ouvrir notre série d’interviews !
Propos recueillis par Beaumont
Interview publiée le 5 août 2001
Bernard Vivier, vous étiez à Zagreb il y a quelques jours. Quel était le but de ce voyage ?
Effectivement, je me suis rendu à Zagreb où s’est tenu du 21 au 27 juillet le 86ième Congrès de l’UEA (Universala Esperanto Asocio). Ce congrès qui a lieu tous les ans dans un pays différent est un événement marquant de la culture Espérantiste. De nombreuses rencontres sont organisées à travers le monde tout au long de l’année, mais le congrès de l’UEA est celui qui rassemble le plus de personnes : 1700 cette année de 57 nationalités différentes. J’y ai participé à des travaux de différentes commissions, j’y ai suivi plusieurs conférences tournant autour du thème qui avait été choisi cette année : “La culture du dialogue – Le dialogue entre les cultures.” J’y ai assisté à divers spectacles dont deux pièces de théâtre, mais surtout, j’y ai rencontré beaucoup de mes amis dont quelques personnes qui collaborent à l’élaboration de listes de mots pour La Vortaro.
Il va sans dire que les discours, les débats, les spectacles se passaient en Espéranto, sans intervention de traducteurs, sans système de traduction.
D’où vient la passion que vous avez pour l’espéranto ? Car il s’agit d’une passion, n’est-ce pas ?
J’ai rencontré l’Espéranto par hasard et j’ai tout de suite été séduit par la facilité d’acquisition et la beauté de cette langue. Après en avoir vérifié l’efficacité au cours de nombreuses rencontres avec des gens de toutes nationalités, je me suis pris de passion pour elle et pour les idées humanistes qu’elle véhicule…
En fait c’est plus qu’une passion, c’est une philosophie.
On parle beaucoup aujourd’hui de mondialisation, l’anglais s’est imposé comme la langue internationale, mais on sait également qu’Internet est un terrain d’expression privilégié pour les langues minoritaires…
Ne nous laissons pas abuser, si l’anglais s’était imposé comme langue internationale, cela se saurait. On devrait pouvoir se passer des interprètes, des services de traduction, et des modes d’emplois multilingues. Les sites internet commerciaux ne proposeraient pas de choisir la langue dans laquelle passer sa commande.
Si l’on en juge par les résultats obtenus, la tentative d’imposer l’anglais comme langue internationale est un des plus cuisants échecs de la deuxième moitié du XXième siècle. Que de temps, d’argent et d’énergie dilapidés en vain… Après des années d’effort combien d’individus non anglophones de naissance sont-ils capables de s’exprimer dans la langue de Shakespeare avec la même aisance que dans leur langue maternelle…
Il en serait d’ailleurs de même avec n’importe quelle autre langue dite “naturelle” par opposition aux langues “construites” comme l’espéranto. Les langues naturelles évoluent d’une façon anarchique, en dépit de toute logique, ce qui rend leur apprentissage si difficile, pour ne pas dire impossible si l’on n’y consacre pas des années entières de sa vie, comme le font tous les enfants du monde pour acquérir leur propre langue maternelle.
C’est en cela que les craintes que la mondialisation fait naître se justifient. Le bilinguisme véritable lorsqu’il s’agit de langues naturelles n’est à la portée que d’un très petit nombre. La tentation d’abandonner sa langue maternelle pour mieux se concentrer sur celle qui apporterait l’accès aux dernières connaissances, et par delà à l’évolution sociale, deviendra peu à peu irrésistible, si l’on y prend garde…
Les défenseurs des langues minoritaires, parmi lesquels se trouvent de nombreux espérantistes, ont bien senti le danger et ont très bien compris que l’internet était pratiquement le seul moyen qui s’offrait à eux pour tenter de préserver le patrimoine linguistique de l’humanité.
Quel est la place de l’espéranto dans ce débat et quel rôle peut-il jouer ?
L’Espéranto, créé dans le but d’optimiser la compréhension entre individus de langues différentes, se présente comme une véritable alternative aux tentatives qui ont échoué jusqu’alors.
Sa conception logique et régulière met son acquisition à la portée du plus grand nombre. Tout un chacun peut devenir totalement bilingue, quel que soit sa langue maternelle, en un temps record. L’adoption de l’Espéranto comme langue planétaire permettrait à tout individu d’avoir accès à la culture internationale, sans pour cela renoncer à sa langue nationale, voir régionale.
L’espéranto, c’est l’avenir ?
Le problème de la communication internationale se fait tous les jours de plus en plus aigu, preuve en est l’imbroglio linguistique devant lequel se trouve la Communauté Européenne qui devra bientôt gérer la coexistence d’une vingtaine de langues de travail au sein de ses institutions.
Je suis persuadé que l’adoption d’une langue construite comme moyen de communication international au niveau de la planète, satisferait aux postulats de simplicité et de neutralité que ce concept implique.
Après 114 ans d’existence, des centaines d’ouvrages littéraires traduits aussi bien en prose qu’en vers, une littérature originale, de multiples rencontres organisées dans le monde entier, des centaines de publications, des émissions de radio, du théâtre, de la chanson et dernièrement des centaines de sites Web, l’Espéranto a fait la preuve d’une efficacité qu’aucun linguiste sérieux ne peut plus contester et se présente comme le candidat idéal.
Vous conseilleriez aujourd’hui à des jeunes d’apprendre l’espéranto ? Qu’est-ce que vous leur diriez ?
Je leur dirais de faire abstraction du snobisme ambiant favorable au tout anglais et des préjugés qui depuis des décennies “plombent” l’Espéranto. Je leur conseillerais d’essayer, de comparer et de se faire leur propre opinion.
Parlez-nous un peu de La Vortaro, de quoi s’agit-il ?
La Vortaro est l’équivalent du Dictionnaire Freelang, mais il est destiné à un public espérantophone. Il a sa propre page en espéranto, son interface ainsi que son fichier d’aide sont rédigés dans cette langue. Les listes de mots donnent des traductions de l’espéranto vers d’autres langues, une vingtaine actuellement.
Vous pourrez aussi y découvrir Le Petit Cours d’Espéranto qui vous dévoilera les mécanismes de la Langue Internationale. Un lien vous conduira vers un portail internet qui vous permettra de découvrir presque tout ce qui se fait actuellement sur le Web en espéranto.
Vos activités sur Internet sont toutes bénévoles, qu’est-ce que cela vous apporte ?
D’abord beaucoup de plaisir parce que j’aime ça. C’est une activité créative qui donne beaucoup de satisfactions, surtout lorsque l’on reçoit des témoignages de sympathie de la part des utilisateurs.
Ensuite cela m’a permis d’élargir le cercle de mes relations nationales avec Le Petit Cours d’Espéranto et internationales avec La Vortaro. Tous deux ont suscité beaucoup d’intérêt et généré une correspondance soutenue avec des personnes de tous horizons. Je dois avouer que j’ai parfois du mal à assumer…
Un mot sur le projet Freelang, comment l’avez-vous découvert et qu’est-ce qui vous a motivé pour y participer ?
J’ai découvert le Dictionnaire Freelang sur une compilation de Freeware et l’ai retrouvé plus tard sur le Web.
Au début je me suis proposé pour corriger une liste Français-Espéranto qui me paraissait une abomination tant elle contenait d’erreurs. Ensuite je me suis pris au jeu et l’idée d’un dictionnaire tout Espéranto est apparue comme une évidence. Encore une fois merci à Beaumont qui s’est beaucoup investi dans ce projet et dont la patience a certainement été mise à rude épreuve avec un élève tel que moi.
Parlons un peu de vous, quelles sont vos passions dans la vie ?
J’ai toujours été fasciné par l’étranger, que ce soit l’individu ou le pays, aussi ai-je une réelle passion pour les voyages Je me suis aussi beaucoup investi dans la photographie et la vidéo et pour faire un mauvais trait d’esprit je vous dirais que la guitare classique est mon violon d’Ingres…
Quels sont vos projets dans les mois qui viennent ?
Apprendre le francique luxembougeois qui est la langue de la région dans laquelle je vis.
Et à plus long terme ?
Aider mon amie à créer l’équivalent à La Vortaro en francique luxembourgeois, si l’équipe du “dictionary program” en est d’accord.
Un dernier mot ?
Merci de la tribune que vous m’avez offerte ici Beaumont. J’espère pouvoir bientôt vous rendre la politesse et qu’à cette occasion vous voudrez bien répondre en espéranto à une interview pour les visiteurs de La Vortaro.
Merci Bernard 🙂
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