Interview avec Núria Fabrés

Núria Fabrés, enseignante, traductrice bénévole sur Freelang depuis le mois de mai 2000 en espagnol et en catalan, a eu la gentillesse de se prêter au jeu de nos questions…

Propos recueillis par Beaumont
Interview publiée le 11 novembre 2001

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Núria, vous êtes traductrice bénévole sur Freelang depuis près d’un an et demi, en espagnol et en catalan. L’une de ces deux langues est-elle une langue maternelle pour vous?

Les deux. Mes parents étaient catalans et la langue catalane était la langue de communication avec tout mon entourage.
Mais ma mère est décédée quand j’avais 7 mois et j’ai eu une belle-mère qui parlait espagnol. Elle a été pour moi “ma maman”, avec beaucoup d’amour.
D’ailleurs, j’ai fait la plupart de mes études en espagnol car, pendant la dictature de Franco, seule cette langue était permise. Les autres langues de l’Etat espagnol, en dépit d’être bien vivantes, n’étaient que tolérées. Très mal tolérées.

La traduction peut être vue comme une activité un peu austère, rébarbative. Qu’est-ce qui vous plaît dans cet exercice ?

Austère, peut être, parce qu’on travaille seul (même quand on le fait dans les bureaux d’une entreprise). Bien que maintenant, avec les forums et les listes de diffusion sur Internet il y a une grande activité d’entreaide et de partage de savoirs. Rébarbative… ça doit dépendre des domaines dans lesquels on exerce le métier. Mais pas dans mon cas. La traduction littéraire est toujours très enrichissante et dans la traduction technique je travaille beaucoup sur le tourisme et sur des sujets culturels. En plus, chaque langue, chaque dialecte, chaque façon de parler ou écrire expriment en quelque sorte la façon d’être de leurs utilisateurs.

Une question un peu directe, mais que les lecteurs se posent sans doute : pourquoi traduisez-vous gratuitement ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Pour le plaisir du partage. Le contact, même en étant très éphémère, avec beaucoup de monde. La satisfaction d’être utile a des personnes autres que celles de mon entourage. (Soyons honnêtes, c’est plus facile d’être gentille le temps d’une petite traduction que tout le temps, dans la vie de tous les jours, je peux être très embêtante 🙁 )

Etes-vous davantage sollicitée pour l’espagnol ou pour le catalan ?

Je n’ai pas fait de statistiques mais il me semble qu’un peu plus pour l’espagnol. Cela, évidemment, sans compter les demandes de traduction des devoirs scolaires. Celles-ci sont toujours pour l’espagnol. Mais nous en parlerons plus tard.

Pour ceux qui ne connaissent pas ces deux langues, pourriez-vous situer le catalan par rapport à l’espagnol ?

La langue catalane appartient au groupe de langues néo-latines occidentales comme l’espagnol, le portugais, le français… pour citer des langues majoritaires, ou comme l’occitan, dans les langues minoritaires. J’invite, à ce sujet, tout le monde à lire le document de François Alby (auteur du dictionnaire français-catalan) qui se trouve sur la page de téléchargement du dictionnaire. Rien qu’une petite précision : la norme a ses bases dans la grammaire de Pompeu Fabra (1868-1948) est c’est l’IEC (Institut d’Etudes Catalanes) qui veille à sa mise à jour. Le catalan parlé à Barcelone est assez contesté car plutôt “castellanisé” et les diverses variantes sont très respectées, la notion péjorative de “patois” n’existant pas.

Le catalan est une langue qui est farouchement défendue par ses locuteurs, est-elle en expansion ou en perte de vitesse ?

Il me semble que la situation est un peu délicate. D’un côté l’enseignement obligatoire en catalan et l’utilisation dans tous les domaines, officiels ou privés, favorisent l’expansion. D’autre part, les “média” auxquels on a accès sont, forcément, en plus grand nombre en espagnol. Même dans les chaînes de télévision catalanes une bonne partie des annonces publicitaires n’ont pas été traduites, ou rien que partiellement. Et ceci me semble un frein pour la normalisation de l’utilisation de la langue. Bien vivante, mais toujours bousculée.

Jusque là, j’ai parlé de la situation du catalan dans l’Etat Espagnol. Pour connaître l’état du catalan en France, on peut lire :
http://www.uoc.es/euromosaic/web/document/catala/fr/i5/i5.html

L’apprentissage du catalan en tant que langue étrangère, aujourd’hui, peut-il être utile pour un francophone ?

L’apprentissage précoce de toute deuxième langue est toujours utile. Je cite Jean Petit, psycholinguiste, Professeur émérite à l’Université de REIMS (Champagne-Ardenne), ständiger Gastprofessor an der Universität KONSTANZ :
“POURQUOI LE BILINGUISME ?
Pour que nos enfants puissent maîtriser deux langues, c’est évident.
Pour une meilleure communication avec nos voisins.
Parce que le bilinguisme apporte aussi à l’enfant :
– un développement plus précoce et plus poussé de la capacité à apprendre et de l’esprit d’analyse
– une aisance supérieure dans l’utilisation de notions abstraites (mathématiques par exemple)
– une facilité accrue pour apprendre ensuite, une fois qu’il est bilingue, une troisième et même une quatrième langue
– parce que les enfants qui vivent une éducation bilingue développent généralement plus de tolérance et d’ouverture d’esprit que ceux qui ne parlent qu’une seule langue”

Pensez-vous qu’Internet est un vecteur de dynamisme pour les langues dites minoritaires, ou qu’au contraire ce média favorise la domination de langues majeures, notamment l’anglais ?

Je pense qu’Internet ne peut être qu’un reflet du monde, c’est l’œuvre des hommes, notre œuvre et nous en ferons ce que nous voudrons. Si nous le voulons, il peut faciliter le partage, la dynamisation des langues minoritaires ou pas, avec des sites comme Freelang et d’autres. Si nous laissons une langue s’imposer, je crois pas qu’il faille jeter la pierre contre l’informatique, l’utilisation de “week-end” à la place de “fin de semaine” est bien plus vieille qu’Internet… Et ce n’est qu’un seul exemple !

Revenons à votre activité de traductrice sur Freelang, combien de temps y consacrez-vous?

Je ne le comptabilise pas. Il y a des semaines où je ne reçois qu’une demande, et peut être courte, il y a des jours où il y en a plusieurs et longues.

Quel genre de demandes les gens vous envoient-ils ?

Vraiment de tout genre.
Petites traductions pour envoyer des cartes postales aux connaissances faites pendant l’été.
Un peu plus longues lettres d’amour ou d’amitié.
Plaintes à diriger à une entreprise, à un hôtel…
Paroles de chansons.
Des CV.
Mots pour des concours ! (il faudrait partager les prix, n’est ce pas ? 🙂 )
Commandes d’articles…
Freelang est tout un monde !!!

Avez-vous une idée du nombre de demandes reçues depuis votre inscription ?

Oh, non ! Mais beaucoup quand même, et ça me fait plaisir.
[ NDLR : Núria a reçu à ce jour 114 demandes via le formulaire de Freelang. ]

Répondez-vous à toutes les demandes ?

Oui. Sauf quand mon ordinateur se plante et que je perds des courriers qui sont arrivés mais que je n’ai pas eu le temps de lire 🙁
Quant aux demandes de traductions scolaires, je propose une correction commentée, mais je ne fais pas les devoirs des élèves de mes collègues !

Vous souvenez-vous de la demande la plus insolite qui vous soit parvenue ?

La situation la plus insolite s’est produite récemment, quand j’ai proposé une aide aux devoirs, la réponse s’est volatilisée avec d’autres courriers suite à une mauvaise installation d’un logiciel. Quand j’ai recontacté l’élève qui, comme beaucoup d’autres, avait écrit au dernier moment, voici la réponse que j’ai reçue (moitié fâchée, moitié reconnaissante) :
“maintenant c’est un oeu tard je crois alors la prochaine fois aller plus vite ou enlever votre adresse si votre PC à des problèmes
Merci encore!!!!!!!!”

La demande qui vous a le plus marquée ?

Celle d’un universitaire belge qui prévenait un magasin espagnol à propos d’une matière dangereuse contenue dans un appareil exposé dans le magasin. On rencontre malheureusement peu de monde qui ait des initiatives pareilles qui témoignent d’un sens de la responsabilité partagée très important.

Quel type de demande aimez-vous recevoir ?

Toutes ! Non, ce n’est pas vrai, je n’aime pas qu’on prétende se faire faire les devoirs… Par contre, j’aime aider à résoudre les difficultés des devoirs. Et j’aime beaucoup les demandes pour toutes les langues. Elles me font sentir davantage le plaisir d’appartenir à une équipe.

A l’inverse, y a-t-il des demandes qui vous rebutent ?

Les devoirs au dernier moment…

Les gens que vous aidez vous semblent-ils reconnaissants ?

A peu près tous. Je reçois beaucoup de messages de remerciement.

Auriez-vous un message à faire passer aux gens qui utilisent ce service d’aide à la traduction ?

Ce qui nous est inconnu nous fait peur, apprenez des langues et le monde vous semblera plus accueillant. Et si vous ne pouvez pas, nous sommes là, entre tous, nous finirons par pouvoir traduire dans toutes les langues et nous rapprocher les uns des autres.

Souhaiteriez-vous que Freelang apporte des aménagements à ce service, si oui lesquels ?

Il me semble qu’il y a à peu près une année et demie que j’ai rejoint Freelang. Le site a énormément évolué depuis. Je vous fais confiance.

Pensez-vous continuer cette activité ?

Evidemment !!!

Merci Núria 🙂

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