Interview avec Maïwenn

Les habitués de notre forum connaissent bien Maïwenn, qui apporte souvent son aide en breton, en thai, en anglais et même en danois, et qui est aussi en charge du forum Arts et Littérature. Maïwenn a également participé à l’élaboration du dictionnaire breton-français de Freelang, notamment en enregistrant la prononciation des mots. Elle est aujourd’hui installée à Bangkok, en Thaïlande, tout comme votre dévoué webmaster.

Propos recueillis par Beaumont
Interview publiée le 1er décembre 2007

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Tout d’abord félicitations, car j’ai appris que tu avais récemment été promue ! Peux-tu nous dire quel poste tu occupes et en quoi consiste ton travail ?

Merci beaucoup ! Depuis 2 ans je suis professeur de français à l’Université de l’Assomption à Bangkok. Et, début novembre j’ai été nommée chef du département de français des affaires. En plus de l’enseignement j’ai donc plusieurs autres fonctions : gestion des cours, supervision des profs, organisation d’activités, représentation du département à l’extérieur, conseils pour les étudiants… Pour l’instant je ne maîtrise pas tout, mais ça me plaît bien, et mes collègues m’aident beaucoup. Elles travaillent ici depuis presque 20 ans et connaissent donc toutes les ficelles.

Pourquoi avoir choisi la Thaïlande ?

C’est elle qui m’a choisie ! En avril 2004, j’étais en stage au Centre International d’Etude des Langues à Brest. Nous avons reçu un groupe de jeunes thaïs, mené par des professeurs de l’Association Thaïlandaise des Professeurs de Français. Un soir on avait organisé une soirée bretonne, alors j’ai joué de l’accordéon. Ca a beaucoup plu aux professeurs, qui, le lendemain m’ont proposé de me trouver du travail en Thaïlande. A ce moment-là j’espérais trouver du travail en Scandinavie. Rien à voir avec l’Asie du Sud-Est donc ! D’ailleurs je n’y connaissais rien, et ça ne m’attirait pas vraiment. Mais j’ai dit oui, pourquoi pas. A vrai dire je ne pensais pas vraiment que ça aboutirait. Mais ces profs, que j’appelle maintenant mes mamans thaïes, sont des personnes influentes dans le milieu francophone thaï, et elles ont pu me trouver un poste.

Est-ce que c’est facile de vivre et de travailler ici ? Quels sont les avantages ?

Oui, je dirais que c’est plutôt facile. Je n’aimais pas la chaleur avant d’arriver, mais je dois dire que j’apprécie de m’habiller sans avoir à regarder la météo tous les matins ! Sinon, on trouve vraiment de tout en Thaïlande. Les transports en communs sont bien organisés, c’est facile de se déplacer. Et tout ça ne coûte pas très cher.

Et y a-t-il des inconvénients ?

J’ai une relation privilégiée avec les moustiques thaïs, et je dois dire que ça commence à m’énerver !

Est-ce qu’il y a une grande différence entre la vision “carte postale” que peut avoir un touriste de ce pays, et la vision qu’on a en y vivant tous les jours ?

En tant que touristes on ne voit souvent que le bon côté des choses. Les beaux paysages, les petits prix, les gens qui sourient… Quand on vit ici, on sait que les sourires cachent parfois bien des choses ! Sur internet, je lis souvent des commentaires dithyrambiques de la part d’amoureux de la Thaïlande, mais qui n’y vivent pas. Tout est magnifique à leurs yeux. Les résidents sont beaucoup plus nuancés !

Au niveau culturel, qu’est-ce qui est le plus difficile à intégrer ? Est-ce qu’il y a des choses, par exemple, auxquelles tu ne t’habitueras sans doute jamais ?

Il y a plusieurs choses qui m’irritent. Par exemple une certaine nonchalance, surtout dans l’organisation. Tout est toujours fait à la dernière minute. Moi je suis quelqu’un d’organisé en général, donc ça me perturbe. A titre plus anecdotique, difficile de s’adapter au bruit. Les Thaïs adorent tout ce qui est fort. Dans les magasins la sono est toujours au maximum. Dans la rue aussi d’ailleurs. Je crois que certains Thaïs n’ont jamais entendu le silence, le vrai. Peut-être en ont-il peur ? Mais ce qui est le plus difficile à intégrer, c’est le poids de la hiérarchie. Que ce soit une hiérarchie liée à la position sociale, ou tout simplement à l’âge. C’est très figé. Moi je veux respecter les gens qui sont respectables, qu’ils soient jeunes ou vieux, femme de ménage ou directeur. Je ne supporte pas le mépris de certains Thaïs pour les personnes qu’ils jugent inférieures, tout comme les courbettes à outrance pour les supérieurs me fatiguent.

Est-ce que tu parles thai ?

“Nitnoy ka”. Un peu. En fait j’ai honte de moi. En deux ans j’aurais pu et dû acquérir une bonne maîtrise de la langue. Mais mon université est anglophone, donc je n’ai pas besoin du thaï pour travailler. Mes amis sont souvent des Thaïs francophones ou d’autres étrangers. Et à l’extérieur j’avais assez des bases pour me faire comprendre. Mais depuis que j’ai rencontré mon copain, j’ai une motivation supplémentaire ! On se parle naturellement en anglais, mais au fur et à mesure on essaye d’utiliser de plus en plus le thaï et le français. Et maintenant que je dois avec plus de contacts avec des personnes diverses de l’université, pas forcément anglophones, ça me donne une raison supplémentaire pour continuer à progresser !

Qu’en est-il de la lecture et de l’écriture, as-tu franchi le cap ?

Je sais déchiffrer. Je n’irai pas jusqu’à dire ” lire ” puisqu’il me faut du temps pour assembler les sons. Je sais écrire mon nom et sawatdee ka (bonjour), pour le reste, il me faut un modèle ! 😉

Est-ce que c’est utile d’avoir des notions en thai quand on vit ici, ou est-ce que l’anglais peut suffire ?

L’anglais suffit à de nombreux étrangers installés ici depuis de longues années. Mais parler le thaï est quand même indispensable pour dépasser le stade du “salut, merci” avec les Thaïs.

Les Thais sont-ils nombreux à apprendre le français ?

Malheureusement non, et de moins en moins.

Quelles sont généralement les motivations des étudiants de français ?

Certains sont littéralement passionnés par la France. A l’autre bout de la chaîne, certains ont décidé d’apprendre le français uniquement pour éviter les maths, dans le jeu des options au lycée. Entre les deux on trouve des étudiants qui aiment le français mais dont les motivations ne sont pas toujours très claires. Quand je les interroge, ils me disent souvent que le français est une belle langue, romantique. Ils me parlent de parfums et de Louis Vuitton. Mais rien de vraiment concret.

Est-ce que les Thais en général connaissent et aiment la culture française ?

En général ils n’y connaissent pas grand-chose. Paris, Zidane et Chanel, rien de plus. Mais comme je l’ai dit plus haut, on trouve aussi des vrais francophiles, qui ont des connaissances épatantes sur la France.

Est-ce que la diffusion du français et de la culture française va en se développant, ou est-ce que l’anglais ou des langues asiatiques s’imposent au détriment du français ?

Le français est clairement en perte de vitesse. Impossible de se mesurer à l’anglais évidemment, mais depuis quelques années les grands concurrents s’appellent chinois, japonais ou même coréen. Ici à l’université le département de chinois est en pleine expansion, alors que nous avons du mal à remplir nos classes.

Je sais que tu es “farouchement bretonne”, est-ce que dans ton travail tu as l’occasion de faire connaître un peu la culture bretonne ?

A mon arrivée ici j’ai monté un petit groupe de danses bretonnes. On a eu l’occasion de présenter notre spectacle quelques fois, et ça a toujours été très apprécié. De temps en temps je fais des initiations danses, pour des camps linguistiques par exemple. Je glisse aussi un peu de culture bretonne dans mes cours. Le semestre prochain je vais enseigner pour la première fois un cours de civilisation française, et je compte bien intégrer un chapitre sur la Bretagne. Après tout, autant parler de ce qu’on connaît bien, et je suis sûre que les étudiants apprécieront.

As-tu le projet d’apprendre encore d’autres langues, ou vas-tu plutôt consolider tes connaissances en thai ?

Le thaï d’abord. La langue maternelle de mon copain est le chinois, donc pour bien faire je devrais l’apprendre. Mais ce n’est pas une langue qui m’attire.

Tu es active sur Internet, notamment via un blog. Est-ce que c’est un journal de bord ? Un moyen de rester en contact avec ceux qui sont en France ?

J’ai créé mon blog juste avant de quitter la France, parce que je ne voulais pas répéter la même chose à 20 personnes par mail. J’y ai écrit plus de 250 messages, qui racontent ma vie, et ma vision de la Thaïlande. Les échos que j’en ai sont très positifs, les gens attendent les nouveaux messages avec impatience. Les messages les plus populaires sont généralement ceux qui parlent de nourriture !

Qu’est-ce qui te manque le plus ici ? Est-ce que ta Bretagne natale te manque ?

Je crois que ce qui me manque le plus ici, ce sont toutes les activités culturelles qu’on peut faire en France. J’ai toujours été très active, musique, théâtre, cinéma… mais ici j’ai dû réduire le rythme. Le cinéma n’est pas cher, mais les films à l’affiche ne sont pas très attirants. Le théâtre et la musique ne sont pas aussi répandus chez les Thaïs qu’en France, que ce soient en spectateurs ou artistes. Il y a aussi des petites choses : quand des amis me disent qu’ils vont au fest-noz ou quand mes sœurs annoncent que ma mère fait des crêpes ! 😉

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite s’expatrier en Thaïlande ?

Ce n’est pas évident de trouver un travail ici, à moins d’être marié à un(e) Thaï(e) ou d’être retraité (et riche), c’est la condition sine qua non. C’est donc la première chose à faire avant d’envisager une expatriation. Pour le reste, je ne sais pas s’il y a des conseils vraiment spécifiques à la Thaïlande. Et je crois que quelqu’un qui veut vraiment s’expatrier arrivera toujours à s’adapter. Je connais des cas d’expatriation ratée, notamment des étudiants chinois, mais c’est parce qu’ils n’ont pas vraiment choisi d’être ici.

Penses-tu rester encore longtemps en Thaïlande ? Et si tu dois quitter ce pays, est-ce que ce sera pour retourner en France ou pour te lancer dans une nouvelle aventure ailleurs ?

C’est la question que tout le monde me pose, et je me la pose aussi ! J’avais prévu de rester 2 ans en Thaïlande, je joue donc les prolongations. J’aimerais bien découvrir un autre pays, mais mon nouveau travail me plaît. Mon copain n’a pas encore fini ses études, donc pour l’instant il ne peut pas bouger. Donc je crois que je vais rester encore quelques années en Thaïlande, mais pour la suite, rien n’est fixé !

Un petit message ou un mot de la fin à adresser aux lecteurs de Freelang ?

Je voudrais saluer en particulier tous les amis que j’ai rencontrés grâce à Freelang et au forum Lokanova. Et à tout le monde je souhaite une très bonne année 2008, pleine de bonheur et de découvertes en toutes les langues !

Merci Maïwenn 🙂

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