Interview avec Géraldine Wójcik

Géraldine Wójcik est traductrice sur Freelang, modératrice sur le forum et sur le chat (pseudo didine), et elle a également contribué à plusieurs dictionnaires, notamment en prêtant sa voix pour l’enregistrement des mots. Pour vous, elle retrace aujourd’hui son parcours, nous parle des langues qu’elle affectionne, du métier d’interprète et de ses projets.

Propos recueillis par Beaumont
Interview publiée le 15 novembre 2004

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Pour beaucoup de personnes qui te connaissent par Freelang, tu restes associée au finnois et à la Finlande. D’où vient cette relation avec la Finlande ?

Entre la Finlande et moi, c’est une véritable histoire d’amour ! Tout a commencé en Hongrie en 2000. J’ai pris des cours dans une université d’été où j’ai rencontré des Finlandais. En les entendant parler finnois, j’ai tout de suite trouvé cette langue tellement belle que je me suis dit que je devais l’apprendre. Un an plus tard, je partais pour Tampere, où j’ai fait ma licence dans le cadre du programme d’échanges européen Socrates-Erasmus. J’ai pris des cours intensifs de finnois, rencontré mon petit ami, commencé à travailler comme traductrice tout en suivant des cours… et prolongé mon séjour !

Les langues, tu es tombée dedans petite, n’est-ce pas ?

Exactement ! Ma mère est polonaise et mon père né en France de parents polonais. J’ai donc appris le polonais étant toute petite.

Au collège et au lycée, en as-tu appris d’autres ?

Oui, j’ai eu la chance de pouvoir étudier le russe en LV1, ce qui est assez rare en France. J’ai ensuite pris l’anglais en LV2. J’aurais aimé étudier une troisième langue au lycée, mais cela n’était malheureusement pas possible dans mon établissement. J’ai tout de même pu prendre le polonais en option au bac, comme LV3.

Tu es polyglotte mais également globe-trotteuse ! Tu as voyagé pour le plaisir ? Pour tes études ?

Un peu des deux ! Lors de séjours longs, j’essaie de concilier les deux. Par exemple quand je suis allée rendre visite à ma famille en Afrique du Sud, j’en ai profité pour suivre des cours à l’Université de Johannesbourg. Et quand j’ai obtenu des bourses pour aller étudier en Hongrie et en Russie, j’en ai profité pour faire du tourisme. Mais j’ai aussi fait pas mal de séjours courts simplement pour le plaisir : Europe de l’Est, pays baltes, pays scandinaves, Chypre…

On met souvent dans le même sac la Finlande, la Suède, la Norvège, le Danemark… J’imagine que chaque pays a ses particularités ? Qu’est-ce qui fait la particularité de la Finlande et des Finlandais, par exemple ?

Ces quatres pays, ainsi que l’Islande, forment un groupe très soudé avec des relations tant politiques, commerciales que culturelles très développées. Le cœur de ce groupe, ce sont les trois pays scandinaves (Norvège, Suède et Danemark), à cause de leur proximité géographique, historique, culturelle et linguistique. L’Islande est un peu en retrait à cause de son éloignement géographique et la Finlande à cause de sa langue. Alors que les Scandinaves peuvent se comprendre entre eux tant leurs langues sont proches, le finnois leur reste complètement hermétique… et pour cause, ce n’est même pas une langue indo-européenne mais ouralienne !

La chose la plus paradoxale chez les Finlandais, c’est qu’ils aiment beaucoup leur pays (et je les comprends !) tout en ayant une sorte de complexe d’infériorité. Lorsque des étrangers viennent visiter la Finlande ou s’y installer, les Finlandais se demandent pourquoi ils sont venus dans ce “trou perdu”. Les Finlandais peuvent paraître froids et distants au premier abord : il sont très diplomates et s’ouvrent peu en société, mais il sont en fait extrêmement disponibles, accueillants et altruistes. Ils sont aussi très respectueux de la nature et des règles… ce qui est un peu déconcertant pour les Français par moments. 😉

Tu es impliquée dans Freelang à plusieurs niveaux, tu fais beaucoup de traductions, tu as enregistré des dictionnaires entiers (finnois et polonais), tu es également modératrice sur le forum et sur le chat. Qu’est-ce que cela t’apporte, à titre personnel ?

Sur mon chemin, j’ai toujours rencontré des gens prêts à m’aider. Mon activité sur Freelang me permet en quelque sorte de rendre la pareille, en aidant les autres dans les domaines dans lesquels je suis compétente. Cela me permet de joindre l’utile à l’agréable ! Le forum et le chat me permettent aussi de faire la connaissance de personnes un peu partout dans le monde partageant mon amour pour les langues.

Aujourd’hui à quel métier te destines-tu ?

Au métier d’interprète de conférence. Je suis actuellement en DESS d’interprétation de conférence à l’ESIT (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs), à Paris. *

Les gens ne connaissent pas toujours la différence entre un traducteur et un interprète, peux-tu nous éclairer sur ce point ?

Un traducteur traduit des textes écrits, un interprète travaille à l’oral. Ce sont deux spécialités distinctes. Beaucoup d’interprètes font de la traduction, mais l’inverse n’est pas vrai.

Y a-t-il différents types d’interprétation ?

Oui, il y a deux grands types d’interprétation : l’interprétation consécutive et l’interprétation simultanée.

En quoi consiste exactement l’interprétion de conférence ?

En interprétation consécutive, l’interprète est assis parmi les participants de la réunion. Il écoute l’intervention de l’orateur, en général jusqu’à quinze minutes, avant de la retransmettre dans une autre langue à l’aide de notes qu’il aura prises. Ce type d’interprétation est de nos jours utilisé presque exclusivement pour les réunions en petit comité ou les réunions très techniques.

En interprétation simultanée, l’interprète travaille en cabine avec au moins un collègue. L’interprète écoute le discours de l’orateur à l’aide d’un casque et restitue le message presque instantanément dans une autre langue. Compte tenu du haut niveau de concentration requis pour interpréter le discours d’un intervenant pendant qu’il parle, les interprètes se relaient environ toutes les trente minutes. Pendant qu’un interprète travaille, l’autre suit attentivement le fil du débat et se tient prêt à aider son collègue si besoin est. C’est l’interprétation simultanée qui est la plus utilisée aujourd’hui.

Je suppose que cette activité nécessite des qualités assez particulières. Il faut être rapide, mais on n’a pas le droit à l’erreur, est-ce que c’est un peu ça ?

Exactement. De plus, il ne suffit pas d’être bon en langues pour devenir interprète. Il faut certes avoir une excellente maîtrise de ses langues de travail, langue maternelle comprise, mais aussi une très grande capacité d’analyse et de concentration, une grande curiosité intellectuelle et une connaissance parfaite de la culture et de l’actualité des pays où ses langues de travail sont parlées, surtout pour comprendre l’implicite. Il faut également être rigoureux dans tous les aspects de son travail : cela va de la ponctualité au respect du secret professionnel.

Quel type d’études faut-il faire pour se diriger vers cette voie ?

Il faut bien évidemment passer par une école spécialisée pour apprendre les techniques d’interprétation. L’interprétation de conférence est une profession qui réclame des aptitudes et un savoir-faire qu’on ne peut acquérir en autodidacte. La formation en interprétation correspond au niveau bac +4/5 à l’ESIT. Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas forcément avoir fait des études en fac de langues auparavant. En ce qui me concerne, je suis passée par la filière LEA (Langues Étrangères Appliquées), mais les étudiants de l’ESIT viennent d’horizons très différents.

Peux-tu nous dire quelques mots sur l’ESIT ? Je crois que c’est tout simplement la meilleure école en France ?

Il y a actuellement quatre écoles en France qui forment à l’interprétation de conférence. L’AIIC (Association Internationale des Interprètes de Conférence) classe les écoles d’interprètes selon un certain nombre de critètes, et l’ESIT est au troisième rang mondial de ce classement. Un des plus grands avantages de cette école est que les enseignants sont des interprètes de conférence en activité, qui connaissent donc très bien la réalité du métier.

Est-ce que l’interprétation, plus que la traduction ou l’enseignement, est une voie à conseiller pour des étudiants en langues ?

Je ne pense pas qu’on puisse conseiller une profession particulière à une personne souhaitant travailler dans le domaine des langues. Être enseignant, traducteur ou interprète requiert des qualités très différentes. Le plus important est d’informer sur les possibilités existantes, puis reste à chacun de voir quelle est la voie qui l’attire et lui conviendrait le mieux. Quand on parle de métiers dans les langues aujourd’hui, on pense souvent à l’ensiegnement et la traduction, mais très rarement de l’interprétation. C’est une activité encore peu connue.

La rémunération est-elle attractive ? Est-ce qu’on a l’occasion de voyager ?

Si l’on regarde la rémunération par jour de travail d’un interprète, on peut dire qu’elle est élevée. On oublie toutefois souvent qu’il y a beaucoup de préparation en amont de chaque réunion. Il faut se familiariser non seulement avec la terminologie du sujet de la réunion, mais aussi avec ses tenants et aboutissants. Il faut également faire des recherches sur les participants à la réunion, connaître leur position, etc.

En ce qui concerne les voyages, il semble que les interprètes sont moins amenés à en faire de nos jours. Toutefois, un interprète basé en Europe a de grandes chances de voyager plus ou moins fréquemment dans le continent, surtout s’il est interprète auxiliaire de conférence (c’est-à-dire accrédité) auprès des institutions européennes.

Aujourd’hui as-tu encore envie d’apprendre d’autres langues, ou préfères-tu perfectionner celles que tu connais ?

J’ai bien évidemment envie d’apprendre d’autres langues, mais je ne peux pas me le permettre pour le moment. Le niveau de langue exigé en interprétation est tel que pour l’instant, je dois me concentrer sur mes langues de travail… non seulement celles que j’ai à l’ESIT, mais aussi le finnois, que j’espère pouvoir ajouter à temps pour la présidence finlandaise de l’Union Européenne au second semestre 2006. Une fois cet objectif atteint, je pourrai recommencer à penser à d’autres langues !

Pour en revenir à Freelang, je crois que tu prépares un dictionnaire same, peux-tu nous en dire plus sur cette langue ? Est-ce la même chose que le lapon ?

Oui, c’est la même chose. On utilise le terme “same” de nos jours car “lapon” n’est plus considéré comme étant politiquement correct. Les Sames vivent dans l’extrême nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande ainsi que dans péninsule de Kola, en Russie. Le same est une langue finno-ougrienne, donc apparentée au finnois, et parlé par 35 000 locuteurs. Il compte dix dialectes. Le dictionnaire que je prépare est un dictionnaire de same du nord, parlé par environ 80% des locuteurs de same.

As-tu d’autres projets concernant Freelang ?

Oui. Dans l’immédiat, terminer le dictionnaire de same et enregistrer les fichiers sons du dictionnaire de russe si l’on ne trouve pas de locuteur natif prêt à le faire. Je pense ensuite réviser les dictionnaires de polonais et de finnois, ce que je n’ai pas eu le temps de faire pendant que j’enregistrais les fichiers sons pour ces langues. Éventuellement réviser le dictionnaire de russe aussi. Et si Freelang lance de nouveaux projets, je serai bien évidemment prête à aider à les mettre en œuvre !

En dehors de Freelang, as-tu d’autres projets ? Je pense par exemple à des voyages ?

Pour le moment, mes projets sont plutôt d’ordre professionnel : sortir de l’ESIT diplômée (il faut avoir une moyenne de 16/20 pour obtenir le diplôme, ce qui explique que la plupart des étudiants qui sortent diplômés de l’ESIT font l’école en trois ans et non en deux), puis passer l’examen d’agrément auprès des institutions européennes. Je compte aussi passer l’examen permettant de devenir traducteur assermenté de finnois. Je traduis déjà depuis le finnois, mais être assermenté permet de traduire des documents officiels, mais aussi et surtout de se faire connaître. Les grands voyages devront donc attendre un peu, mais pourquoi pas quelques petits voyages entre temps ? J’aimerais retourner en Lettonie l’année prochaine par exemple…

Merci Géraldine 🙂

* Géraldine est aujourd’hui diplômée de l’ESIT.

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