Langue et politique

Le sommet de la francophonie 2012 a réuni à Kinsahsa les représentants des 56 états membres de l’OIF, l’Organisation Internationale de la Francophonie. Dans un pays décrié pour le non respect des droits de l’homme, François Hollande a rappelé que “c’est en français que les révolutionnaires de 1789 ont proclamé et donc écrit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” et que “la francophonie doit porter la démocratie, les droits de l’homme, le pluralisme, le respect de la liberté d’expression, l’affirmation que tout être humain doit pouvoir choisir ses dirigeants”. Le président français a également ajouté : “Le français est une langue africaine. L’avenir de la francophonie, il est ici, en Afrique (…) Le français n’appartient pas à la France, il vous appartient, il est à vous.”

Les discours de François Hollande et de l’ensemble de nos dirigeants sont, on le sait, intimement décortiqués et largement commentés. La DPG, ou “déclaration de politique générale”, passe ainsi chaque année au crible d’un logiciel d’analyse linguistique. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a par exemple prononcé ces mots :

Oui, comme vous, j’aime la France, j’aime sa langue, ses paysages, sa culture, son histoire. J’aime les valeurs qui l’ont façonnée ; j’aime son goût pour le débat. J’aime l’idée que la nation française soit fondée sur le désir de lui appartenir plus que sur la naissance. J’aime qu’elle puisse servir de modèle en Europe et dans le monde, car son message est universel. J’aime aussi notre capacité, en certaines circonstances de notre histoire, à nous dépasser, à mettre de côté ce qui nous divise pour nous retrouver ensemble et faire la France ! Comme vous toutes et tous, je suis un patriote !

De cette séquence, les linguistes notent l’omniprésence du verbe aimer et du “je”, qui était une marque des discours de François Mitterrand et une caractéristique des Premiers ministres socialistes, notamment Pierre Bérégovoy et Laurent Fabius. Cela montre également un engagement personnel, souligné par l’absence de l’expression “il faut” dans le discours, et une volonté de remettre la fonction de chef du gouvernement au premier plan, alors qu’elle avait été quelque peu éclipsée par “l’hyperprésidence” du quinquennat précédent.

Les politiques sont conscients de l’importance du choix des mots et mettent en place de réelles stratégies sémantiques. Ainsi, on a pu noter que le candidat François Hollande, lors du débat télévisé de l’entre deux tours avec Nicolas Sarkozy, avait répété pas moins de 16 fois la formule “Moi président de la République”. Après l’élection, le gouvernement a tout fait pour ne jamais mentionner les termes de rigueur ou d’austérité. On a préféré des formules alambiquées, comme “l’effort juste”, le “redressement productif” ou, dans un autre domaine, “l’intégration solidaire”. Le politiquement correct a été plus que jamais mis en avant. Oublié l’échec scolaire, place à la “la réussite éducative” ! On ne parle plus d’euthanasie mais de “fin de vie”. La ministre déléguée aux Personnes âgées, Michèle Delaunay, a même proposé de remplacer le terme “vieillir” par “avancer en âge” ! Elle souhaite également s’attaquer au verbe tomber, qui serait péjoratif dans des expressions comme “tomber amoureux” ou “tomber enceinte”.

Lorsqu’on est prisonnier du politiquement correct, il n’y a parfois qu’un pas vers le travers opposé. On se souvient du tristement vulgaire “Casse-toi pauvre con” de Sarkozy, qui a été récemment parodié en une de Libération : “Casse-toi riche con”. Lorsque les médias anglophones ont rapporté l’affaire, tout le problème a été de savoir comment traduire ces deux expressions en anglais ! On a ainsi trouvé, au hasard des journaux :

  • Get lost, you rich bastard
  • F**k off, you wealthy bastard
  • Get lost, rich idiot
  • Get out of here, rich idiot
  • Get lost, you rich A-hole

Vous apprécierez les divers degrés ! En allemand les quotidiens ont choisi “Hau doch ab, reicher Idiot” (fous le camp, riche idiot), tandis qu’en italien la presse hésitait entre “Vattene, ricco coglione” (littéralement va-t-en, riche couillon) ou “Togliti dai piedi, ricco coglione” (dégage, riche con).

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